Quelle éducation pour une société écologiste ? Philippe MEIRIEU était au Mans le 17 janvier 2012
Le 17 janvier 2012, salle Barbara au Mans, de nombreuses personnes sont venues dialoguer avec Philippe Meirieu
Quelle éducation pour une société écologiste ?
I – Trois principes
1. La richesse du savoir est inépuisable.
Nous vivons dans un monde « fini » où les richesses s’épuisent. La richesse de l’intelligence, celle des humains, est quant à elle infinie !
Partager son savoir ne rend pas plus pauvre, mais au contraire plus riche car le savoir se multiplie quand on le partage. Il s’agit bien d’une richesse infinie, contrairement aux autres richesses qui ne sont pas inépuisables.
2. Refuser la concurrence pour lui substituer la solidarité
Nous devons défendre les valeurs de solidarité, de lien social entre les pairs et les générations. Travailler ensemble et non pas les uns contre les autres, rompre avec la notion de compétitivité.
Tendance à segmenter les population en « coeur de cible », à placer les individus côte à côte. Tout cela va à l’encontre de la coopération et des valeurs de partage que nous encourageons.
3. L’école doit être un espace de décélération
Il nous faut prendre conscience de la rapidité avec laquelle nous vivons et qui nous entraine dans la pulsion « agitatrice » et non dans le désir qui, lui, ne s’éteint pas. Exemples du désir de savoir, du désir de la connaissance de personnes aimées…
Nous devons lutter contre l’accélération, l’instantané, le tout tout de suite ! Références à Bernard Stiegler qui définit 3 types de capitalisme qui se sont succédés : le capitalisme industriel, le capitalisme financier et aujourd’hui le capitalisme pulsionnel ! http://skhole.fr/lecture-de-prendre-soin-de-bernard-stiegler
C’est la toute puissance de la pulsion des humains qui entraine la consommation, au détriment de la réflexion. On agit, avant même de penser. Cette accélération du temps, de l’instantané, nuit au recul, à la distance nécessaire, ne favorise ni la réflexion, ni la discussion.
Exemple de « La boîte à bagarres » de Janusz Korczak (Journal de ghetto) : comment l’expression des enfants, leurs échanges, ont permis la réflexion avant le passage à l’acte.
II – Perspectives
L’éducation ce n’est pas que l’école, ni la réforme scolaire !
L’éducation ne doit pas se voir qu’au travers du prisme scolaire et ne peut se construire uniquement à coup de réformes. Chacun à son rôle à jouer.
Exemple du gardien de square remplacé par une vidéo surveillance : le gardien est devenu chômeur, mais son indemnité était à peu près égale à son salaire. Pas d’économie. Mais le gardien est devenu dépressif, donc coût de la santé + coût de la vidéo et du traitement de l’image…
La médiation a été supprimée au profit de la répression.
L’éducation est une responsabilité partagée par toutes les familles de la société :
⁃ Les parents, sans les culpabiliser mais, au contraire, en les accompagnant et en les aidant à inventer de nouvelles réponses à leurs questions.
⁃ Le tissus associatif et culturel, lieux de médiation, sans les parents et les enseignants, qui encouragent l’expression des jeunes.
⁃ Les médias (télévision, internet…) qui sont à réinterroger, au même titre que les obligations du service public sont à réinventer (films sous-titrés aux horaires de soirée et non de nuit, journaux télévisés, programmes dédiés aux jeunes).
Il s’agit bien d’une approche globale de l’éducation qui interroge tous les acteurs et tous les citoyens, tout au long de la vie.
Références à la chanson de Richard Anthony : Donne-moi ma chance !
Pour les moins chanceux : http://www.paroles-musique.com/paroles-Richard_Anthony-Donne-moi_Ma_Chance-lyrics,p9725
III – Propositions phares Europe-Écologie Les Verts
1. Une école « restaurée » qui propose un véritable service public de l’éducation, en vue de promouvoir le bien commun. Nous devons donner vraiment plus aux plus démunis : permettre l’équité sociale, développer la laïcité, favoriser la justice sociale.
2. Une école qui devienne une véritable institution, capable de « tenir debout ».
Face à « l’avachissement » des jeunes, l’équipe pédagogique est à concevoir comme une équipe structurée et structurante : permettre réellement le travail en équipe, la co-présence d’adultes enseignants face aux jeunes.
3. Une école centrée sur l’élève qui apprend.
Comment on aide à apprendre, à développer les capacités d’attention des élèves qui ont diminuées par trois ces dix dernières années ?
Les enjeux sont essentiels, notamment, pour favoriser l’écoute et l’apprentissage de la lecture.
Les méthodes pédagogiques sont à faire évoluer !
4. Une école qui travaille réellement avec les familles.
Favoriser l’écoute et développer la confiance avec les parents d’élèves, sans les considérer comme des opportuns.
5. Une école en interaction avec le territoire.
L’école n’est pas un sanctuaire
6. Une école qui enseigne ce qui libère et ce qui rassemble plutôt que ce qui divise.
Faire évoluer les programmes, partager les expériences, produire de la citoyenneté.
7. Une école qui accueille des enseignants correctement formés et préparés à leur métier.
Il est prioritaire de reconstruire une formation professionnelle, initiale et continue, pour les enseignants, formation qui a été complètement démantelée. Cette formation ne doit pas être exclusivement didactique et liée à la discipline enseignée, mais elle doit intégrer l’enseignement à la pédagogie et aux techniques relationnelles. Nous devons renouer avec une culture de l’éducation populaire qui se perd.
Débat avec la salle
La pédagogie nouvelle
Les méthodes actives (Freynet…), ne sont pas à opposer aux méthodes classiques. Elle doivent être complémentaires et être mises en oeuvre de manière rigoureuse. Nécessité de poursuivre la formalisation, l’apprentissage, la mémorisation, la synthèse.
Nombre d’élèves par classe
C’est une dimension du problème, mais ce n’est pas toujours un problème selon les activités menées et l’expérience de l’enseignant.
EÉLV propose la mise en oeuvre « d’unités pédagogiques fonctionnelles ». En partant d’un ratio optimum estimé à 100/120 élèves pris en charge par une équipe de 10/12 enseignants, soit 4 classes environ, il est tout à fait possible d’organiser la distribution des heures en grand groupe ou en sous-groupe, selon l’estimation des besoins des élèves et des enseignements dispensés.
Il est intéressant de pouvoir mener des expérimentations en ce sens. Le collège Anne Franck au Mans souligne qu’il expérimente cet axe du programme d’EÉLV depuis sa création il y a 10 ans, mais que cela pose un problème de reconnaissance par le rectorat.
Cette question renvoie au statut de l’établissement et du chef d’établissement, difficile à faire évoluer, alors même que les outils de contrôle se rigidifient.
Le genre dans l’enseignement
Les filles sont meilleures partout et excellent dans toutes les matières, même scientifiques !
Pourtant les préjugés persistent, notamment sur l’orientation professionnelle qui reste très inégalitaire.
Les filles compenseraient ainsi leur intelligence par un travail supérieur…
Quand on parle des élèves et de leur évaluation, on entend généralement qu’un garçon est brillant, mais fainéant. En gros, il a des réserves, tandis que les filles ont fait ce qu’elles ont pu !
Exemple hilarant (à la sauce Meirieu) relatif à la manière dont les enfants parlent du travail de leurs parents : les papas Zorros qu’il ne faut pas déranger, tellement ils sont fatigués de leur longues journées, qui font des choses extraordinaires, même si on ne sait pas lesquelles et qui, rentrant à la maison, déballent tous les soucis qu’ils peuvent avoir… alors que les mamans travaillent un peu dehors et travaillent en rentrant à la maison pour faire la cuisine et le repassage !!
RASED (Réseau d’aide et de soutien aux élèves en difficultés)
Inquiétude sur leur suppression.
Ce système d’intervention ciblé évite l’exclusion des élèves les plus fragiles. Nous devons non seulement le maintenir mais l’étendre au secondaire. Sa disparition risque de faire porter des responsabilités encore plus lourdes aux enseignants.
Réforme de l’évaluation
Sous l’ère Sarko, nous sommes entrés dans une caporalisation extrême au service d’une libéralisation exacerbée. Cette caporalisation a atteint un niveau très préoccupant et entraine une évaluation partout et tout le temps.
L’état garantit la qualité de l’étiquette et non plus la qualité du produit ! Le diplôme est toujours sanctuarisé, au détriment de la valeur et de la reconnaissance du savoir.
EELV souhaite faire évoluer progressivement le système d’évaluation vers des unités capitalisables (comme en formation continue) au rythme de chacun : s’inspirer de ce qui est mis en oeuvre dans l’enseignement agricole.
En conclusion :
⁃ Nécessité de « reterritorialiser » les savoirs, pour que les élèves et les enseignants s’inscrivent dans leur territoire réel et non virtuel : place de l’école dans son environnement.
⁃ Réintroduire dans l’éducation de l’expérimentation, de la créativité, du documentaire.
⁃ Favoriser le développement d’actions collectives : l’apprendre se construit dans le faire, et non pas uniquement dans le dire. Pour vivre ensemble, il faut apprendre à faire ensemble !
Prise de notes et synthèse : Joëlle Remoissenet, le 18 janvier 2012
MERCI à Alain ROJO DE LA PAZ POUR LE REPORTAGE PHOTOS