Nous, les anciens du Larzac…

Nous, les anciens du Larzac…
Par José Bové, Christiane et Pierre Burguière, Michel Courtin, Léon Maillé, Christian Roqueirol, Marizette Tarlier et Michèle Vincent Paysans du Larzac

«Nous ne nous laisserons pas dicter une vision du monde qui n’est pas la nôtre», dites-vous, Monsieur le Premier ministre. Nous non plus, Monsieur le Premier ministre !
Car ce qui se joue autour du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes engage localement un choix qui concerne l’avenir de tous. Exactement comme ce fut le cas, dans les années 70, autour de la volonté d’extension du camp militaire du Larzac. Nous, paysans du Larzac, qui en fûmes les acteurs, pouvons en témoigner.
Nous disions à l’époque : «Le blé fait vivre, les armes font mourir». Nos ami(e)s de Notre-Dame-des-Landes disent aujourd’hui : «Des légumes, pas du bitume». Comme nous refusions la destruction de nos bergeries et pâturages, ils refusent la destruction de leur bocage et de leurs fermes.
Comme vous, Monsieur le Premier ministre, les décideurs du moment, Michel Debré en tête, vantaient les effets «bénéfiques» de l’extension du camp militaire pour l’économie et l’emploi. Ils croyaient dur comme fer à la revitalisation des territoires par des grands équipements structurants, moteurs économiques artificiels imposés d’en haut par des élus en mal de créativité. Comme vous, Monsieur le Premier ministre, ils fantasmaient un aménagement du territoire basé sur de grosses machineries, toujours plus coûteuses et mégalomaniaques, sacrifiant l’activité et l’environnement des populations locales. C’était bien une «vision», celle d’un progrès arrivant dans le sillon des tanks. La même que celle qui préside à l’aveuglement des promoteurs politiques de Notre-Dame-des-Landes et qui veut installer l’avenir sur l’aile des avions, à coups de compagnies low-cost, de kérosène détaxé, de bétonnage, de stérilisation des terres, et d’effet de serre renforcé.
Qui se plaint aujourd’hui que le président François Mitterrand ait mis fin à l’illusion de l’extension du camp militaire ? Le Larzac n’est pas mort. Au contraire, sa population s’est élargie, son agriculture s’est renforcée, ses activités se sont diversifiées. Même l’armée française n’en a pas souffert, sinon peut-être dans son orgueil.
Nous nous sommes battus pacifiquement, urbains et ruraux réunis, locaux et «squatters» mélangés, contre une idée destructrice du progrès. Comme ceux de Notre-Dame-des-Landes se battent aujourd’hui. Nous avons milité pour une stratégie douce de développement, respectueuse de la nature et des hommes, fondée sur la mise en réseau de ressources locales écologiques, économiques et humaines. Comme ceux de Notre-Dame-des-Landes militent aujourd’hui.
Nous nous réjouissons de l’amorce du dialogue que le gouvernement a enfin accepté de nouer avec ceux et celles de Notre-Dame-des-Landes. Mais, comme il y a trente-six ans, nous nous rappelons le piège de la concertation pour la «mini-extension». Et nous espérons que les leçons du passé seront intégrées.
Sinon quoi ? Faudra-t-il que nous, les paysans du Larzac, envisagions de participer activement à un combat qui est le nôtre en entamant par exemple une grève de la faim ?

José Bové, Christiane et Pierre Burguière, Michel Courtin, Léon Maillé, Christian Roqueirol, Marizette Tarlier et Michèle Vincent Paysans du Larzac, le 28 novembre 2012

Remonter