Jean-Vincent Placé répond au Premier Ministre
4 juillet 2012
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, mes chers collègues,
Les finances publiques de la France sont à ce point préoccupantes qu’en faire le constat constitue probablement l’une des rares analyses commune aux différentes travées de cette Assemblée. Et pourtant, mes chers collègues, en écoutant le chef du Gouvernement, ses propos rassembleurs, il m’est venu à l’esprit une raison de me réjouir : nous venons tout juste de tourner la page d’un quinquennat de brutalités, d’injustices et de discriminations ; d’un quinquennat où les Français-es furent sans vergogne dressés les uns contre les autres ; d’un quinquennat qui s’est achevé, ouvertement, à l’extrême-droite, sur une campagne empoisonnée de vindicte et de haine à l’égard des pauvres, des étrangers et des musulmans. Alors les leçons, ça va, c’est plutôt les excuses qu’on attend !
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Si nous sommes parvenus à nous libérer de cette violence insoutenable, c’est entre autres parce que la gauche et les écologistes, avec responsabilité, ont choisi d’unir leurs forces pour la présidentielle et les législatives, de la même manière qu’ils avaient fait basculer, par d’intelligentes alliances, la majorité d’un Sénat jusqu’alors promis à un conservatisme éternel.
La situation financière de la France, je l’ai dit, est problématique : la dette nous accable, ses charges nous obèrent. Je tiens à cet égard à saluer le discours de vérité du Président de la République. Pour nous, écologistes, qui sommes aisément taxés de catastrophistes, il est primordial de fournir à nos concitoyen-ne-s une vision lucide de l’avenir. Le Président François Hollande, durant sa campagne, n’a pas cherché à dissimuler la réalité aux Français-es.
Lestés de cette dette héritée du passé, nous partageons avec vous, Monsieur le Premier ministre, le poids de la responsabilité qui nous incombe, face à la jeunesse de notre pays : c’est à notre majorité qu’il revient, désormais, d’entreprendre les efforts nécessaires à l’assainissement de nos finances publiques. Nous aurons l’occasion, lors des projets de loi de finances, de discuter des modalités des mesures que vous proposez – augmentation des recettes fiscales et stabilisation des dépenses – mais nous pouvons d’ores et déjà vous témoigner notre plein soutien, Monsieur le Premier ministre, quant à votre volonté de réhabiliter l’assiette de l’impôt grevée de niches ; de rééquilibrer le rapport entre travail et capital ; et de réduire les inégalités de revenus. La transition écologique que nous appelons de nos vœux ne pourra trouver sa place que dans une société équitable et apaisée, à laquelle vos mesures vont concourir.
Toutefois, malgré l’exigence de justice à laquelle s’astreint votre gouvernement, les efforts à consentir pèseront sur nos concitoyen-ne-s. Et s’ils y sont, dans leur majorité, sans doute prêts, il ne faudrait pas, dans 5 ans, venir leur expliquer que leurs efforts ont été vains. Or vous avez dit (hier), Monsieur le Premier ministre : “rien ne sera possible sans le retour de la croissance”…
On touche là, chacun le sait, au cœur du paradigme écologiste, selon lequel la progressive raréfaction des ressources entraîne inéluctablement une augmentation des prix et un ralentissement de la croissance. Il ne s’agit pas seulement d’une théorie : en France, dans les années 60, la croissance fut en moyenne de 5,7% par an ; dans la décennie 70, elle fut de 3,7% ; dans la décennie 80, de 2,4% ; dans la décennie 90, de 2% ; et de 1,1% dans les années 2000. Sachant de surcroît qu’une part de cette croissance moribonde a été artificiellement créée par la dette qui nous submerge aujourd’hui, il ne nous semble plus permis de croire – car il s’agit bien d’une croyance, Monsieur le Premier ministre – il ne nous semble plus permis de croire au retour d’une croissance durable, au-delà des variations conjoncturelles.
Tel que l’avaient prédit, en 1970, les scientifiques du Club de Rome, nous vivons en ce début de XXIème siècle les prémices des crises de rareté, avec une nette augmentation du prix des matières premières et de l’énergie, tandis que la croissance s’évanouit inexorablement. A cela s’ajoutent les conséquences de la course folle d’un système productiviste fondé sur la rentabilité : accéléré par la publicité et l’obsolescence programmée des objets, le cycle de consommation s’emballe jusqu’à l’absurde, causant des pollutions diverses, provoquant des crises sanitaires, malmenant la biodiversité et déréglant le climat.
De ce point de vue, sauf à ne jamais sortir de ce cercle infernal, il n’est plus possible, selon nous, de fonder un modèle économique et social sur le seul hypothétique retour de la croissance, en se bornant à considérer les questions écologiques comme un luxe ou un supplément d’âme.
Prenons l’exemple de l’industrie automobile, si dramatiquement mise à mal ces derniers temps. Je vois, ici, Aline Archimbaud, très investie avec Arnaud Montebourg sur le dossier PSA à Aulnay. Face à la détresse de ces centaines de salariés dont l’État, fort légitimement, se soucie de préserver les emplois, il serait tentant de relancer le secteur par quelque subvention, comme une nouvelle prime à la casse. A ce stade, nous rappelons que 60% du parc automobile français fonctionne au diesel, qui vient d’être classé par l’OMS comme un cancérogène certain. Sans même évoquer les drames humains liés à la maladie, le coût de la prise en charge médicale des affections de longue durée pourrait déjà remettre en question, d’un strict point de vue économique, la pertinence globale du choix industriel. En outre, le maintien ou le développement du parc automobile engendre un besoin en pétrole, énergie non seulement dévastatrice pour le climat mais encore sans avenir, car fossile. Ce besoin vient ensuite justifier des forages, comme en Guyane, avec un très haut risque pour la biodiversité.
Ici, la transition écologique consisterait à favoriser la reconversion partielle et progressive de l’industrie automobile avant que son déclin ne soit imposé par les contraintes extérieures. A Vénissieux, par exemple, un équipementier automobile s’est reconverti avec succès dans l’assemblage de panneaux photovoltaïques. Des emplois seraient ainsi pérennisés tandis que la réduction du parc automobile améliorerait la situation sanitaire. Cela permettrait également de réduire les extractions de pétrole préjudiciables tant à la biodiversité qu’au climat et de favoriser l’orientation vers une société de l’après-pétrole.
On voit bien ici que même la question de l’emploi ne peut suffire à appréhender les choix politiques qui s’offrent à nous : écologique, économique et social sont inextricablement liés. C’est pourquoi les écologistes seraient particulièrement favorables, Monsieur le Premier ministre, à l’instar du Conseil Économique Social et Environnemental, à ce que les associations environnementales que vous avez conviées à une grande conférence en septembre puissent également être associées, dès ce mois de juillet, au sommet social.
Sur ce sujet majeur de la transition écologique, nous avons, vous et nous, Monsieur le Premier ministre, des cultures et des sensibilités différentes, qui peuvent nous différencier sur certains choix industriels, énergétiques, agricoles ou d’équipements. On vient d’évoquer l’automobile et les forages pétroliers, on pourrait y ajouter l’EPR et le surgénérateur ASTRID, ou encore l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Pour autant, là où le précédent gouvernement avait tergiversé, vous avez déjà pris des mesures : interdit le Cruiser, cet insecticide si néfaste aux abeilles. Là où le précédent gouvernement n’avait affiché que mépris pour cet environnement “qui commence à bien faire”, comme le disait N. Sarkozy, nous avons entendu vos mots, Monsieur le Premier ministre. (Hier,) vous nous avez parlé de transition énergétique, de sobriété et d’efficacité, de développement des renouvelables, de biodiversité, de code minier – nous y serons très attentifs- mais aussi de créations d’emplois dans l’économie verte. Sans doute n’attribue-t-on pas encore exactement le même sens à toutes ces expressions. Mais nous croyons profondément à la possibilité d’un dialogue constructif avec vous, et à la possibilité de porter, au sein de votre – de notre – majorité comme auprès de votre gouvernement, la voix écologiste, que nous souhaitons voir compter. Mme Bricq avait rapidement suscité notre confiance, ne doutons pas qu’il en sera très vite de même avec Mme Batho.
Monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même fixé le cadre institutionnel, qui nous satisfait pleinement, dans lequel se déroulera ce dialogue démocratique et républicain : une vie politique moralisée et apaisée, autour des valeurs d’exemplarité, de sobriété, de parité, de diversité et de non-cumul des mandats, à l’image, moderne, de votre gouvernement. Le Parlement, valorisé dans son rôle d’initiative et de contrôle, intégrera une dose de proportionnelle pour permettre une plus juste représentation de l’expression des électeurs. Vous avez également annoncé que le temps serait pris pour un travail législatif serein, loin de la frénésie du président sortant qui crut bon d’utiliser la loi comme un instrument médiatique. Enfin, vous avez indiqué privilégier la concertation et souhaiter la mobilisation de tous les citoyens pour le redressement du pays. Très attachés à l’autonomie et à la responsabilité individuelles, les écologistes seraient tentés de voir dans un nouvel acte de décentralisation l’opportunité concrète d’impliquer davantage les Françaises et les Français dans notre démocratie, en les rapprochant de leurs institutions. Régie par les principes de subsidiarité, de péréquation et de régionalisme, l’organisation que nous appelons de nos vœux s’articulerait, au plus près des citoyens, autour de trois échelons : les communes, les communautés et les régions, ancrées dans une Europe fédérale, démocratique et solidaire.
Pour conclure, Monsieur le Premier ministre, je crois que nous avons en partage un même sentiment de responsabilité face à l’urgence de réforme que commande l’état de notre pays, alors même que l’extrême-droite et son idéologie y sont de plus en plus prégnantes. En matière de transition écologique, ne pas agir, c’est faire un choix, celui du statu quo, qui s’avérera à la fin toujours le plus coûteux, notamment pour les plus fragiles qui comme toujours pâtissent les premiers des situations difficiles. Notre responsabilité d’écologistes, Monsieur le Premier ministre, consiste donc à réussir, en pesant sur les politiques publiques, à piloter la transition plutôt qu’à laisser nos concitoyen-ne-s la subir. En conséquence, et malgré certaines différences d’analyse, nous sommes convaincus, Monsieur le Premier ministre, que notre place est à vos côtés : au Gouvernement, avec Cécile Duflot et Pascal Canfin, et au Parlement, avec dans chaque assemblée un groupe autonome, libre de sa parole et de ses votes. C’est le défi, Monsieur le Premier ministre, que le Groupe écologiste du Sénat souhaite relever avec vous, sans révérence et sans déférence, mais toujours avec vigilance et exigence. Pour résumer, les écologistes, par raison et par cœur, utilisent aujourd’hui l’un des plus beaux mots de la langue française : « confiance » !
Jean-Vincent Placé, le 4 juillet 2012