Roms : une proposition de loi au Sénat

La sénatrice de Seine Saint Denis Aline Archimbaud à rédigé une proposition de résolution qui concerne les Roms qui sera déposée par notre groupe à la chambre haute.

 

PROPOSITION DE RÉSOLUTION SUR
LES MIGRANTS ROUMAINS ET BULGARES PRÉCAIRES

« La façon dont sont traités les Tsiganes représente le vrai test, non seulement pour une démocratie mais d’abord pour une société civile » Vaclav Havel

1. Un peu d’histoire, qui sont les « Rroms » ?

Les Tsiganes constituent une catégorie désignant les individus sur le plan ethnique. Trois groupes sont généralement distingués :
• les Rroms venant principalement d’Europe centrale et occidentale
• les Manouches -ou Sintés – venant principalement du nord de l’Europe, notamment de France, d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas ainsi que du nord de l’Italie
• les Gitans -ou kalés – venant principalement du sud de l’Europe, notamment d’Espagne

La diversité des origines géographiques ainsi que de l’ancienneté sur le territoire doit conduire à ne pas penser les Tsiganes comme un groupe homogène ayant des caractéristiques historiques, culturelles, socio-économiques et religieuses communes. Cette même logique prévaut également au sein de chaque groupe.

Les Rroms dits « migrants » ne sont pas, contrairement aux idées reçues une population nomade, mais sont sédentaires depuis plusieurs siècles et certains se trouvent en France depuis une quinzaine d’années.

Les deux premiers documents attestant de la présence des Rroms dans l’actuelle Roumanie sont deux actes de donation de familles de robs Rroms à deux monastères, l’un de Vodița daté de 1385 et l’autre de Tismana daté de 1387. La robie est un statut traduit en français et en roumain moderne par « esclavage », mais qui s’apparente davantage à un contrat féodal de servitude personnelle. Le rob appartenait certes à son maître qui pouvait le vendre, mais ce maître ne pouvait être qu’un voïvode, un boyard ou un monastère, et le rob lui-même pouvait racheter sa liberté, et la revendre ailleurs : c’est pour cela que traditionnellement les Rroms portent leur or sur eux, bien visible, sous forme de colliers, bijoux ou dents, afin de montrer leur solvabilité et leur capacité à se racheter. Il est la marque de leur dignité. Les robs du voïvode sont libres d’aller et venir, mais payent tous les ans une redevance pour ce droit. Ils pratiquent toutes sortes de métiers : commerçants ambulants, forains, ferronniers, forgerons, rétameurs, bûcherons, maquignons, fossoyeurs, chiffonniers, saltimbanques, musiciens. Quant aux monastères et aux boyards, ils utilisent leurs « robs » comme domestiques ou comme contremaîtres pour faire travailler les paysans serfs. Les « robs » peuvent être donnés, légués ou vendus aux enchères.

Depuis le xviiie siècle, des fils de boyards étudiant à Paris, initiés à l’esprit des Lumières et/ou en franc-maçonnerie, lancent un mouvement abolitionniste. Le processus se fait en plusieurs étapes. En 1825, en Moldavie, le Hospodar Ioniţă Sandu Sturza délie les Rroms de leurs liens envers les monastères et les boyards. Cet acte officiel part d’une bonne intention : mettre fin à la « robie ». Mais en pratique, cela laisse les Rroms sans protection face aux agriculteurs sédentaires qui réclament des réformes agraires. De nombreux Rroms reprennent alors le nomadisme, alors qu’ils s’étaient sédentarisés en majorité autour des domaines seigneuriaux (konaks) et abbatiaux. De toute façon, Sturdza est renversé en 1828 et la « robie » est aussitôt rétablie. Plus tard, en 1865, influencé par la Révolution roumaine de 1848 et par Victor Schoelcher, le prince humaniste Alexandru Ioan Cuza sécularise les immenses domaines ecclésiastiques et abolit la « robie » en Moldavie et Valachie. Toutefois il faut attendre 1923 pour que des lois leur donnent des droits égaux aux sédentaires et les protègent contre les discriminations (Constitution roumaine de 1923). Mais ces lois sont remises en question entre 1940 et 1944.

En Allemagne, le Parti national-socialiste renforce, dès son arrivée au pouvoir, une législation déjà assez dure ; bien qu’Indo-européens, les Zigeuner ne sont pas considérés comme des Aryens mais, au contraire, comme un mélange de races inférieures ou, au mieux, comme des asociaux. Ils sont vite parqués dans des réserves puis envoyés en Pologne, et enfin internés dans des camps de concentration sur ordre d’Himmler, puis éliminés dans des camps d’extermination. Pendant la Seconde Guerre mondiale, déportés à Auschwitz, à Jasenovac, à Buchenwald, entre des centaines de milliers de Tsiganes d’Europe sont morts des suites des persécutions nazies. Le terme tsigane le plus courant pour désigner ce génocide est Porrajmos, qui signifie littéralement « dévoration ». Les premières estimations allaient de 100 000 à 1 500.000 morts ; les estimations gouvernementales officielles établies après-guerre dans les livres blancs parlent de 500 000 morts ; les historiens Kenrick et Puxo parlent de 219 700 morts ; Bernardac ajoute les tsiganes tués alors qu’on les prenait pour des Juifs, ou ceux qui arrivaient à cacher leur identité tsigane, il arrive au total de 240 150 morts au moins. Ce qui fait que sur 1 million de Tsiganes avant-guerre, les nazis et leurs Alliés auraient exterminé de 25 à 50 % de tous les Tsiganes européens.
En Roumanie, le Communisme a duré du 6 mars 1945 au 23 décembre 1989. Durant cette période de dictature, les Rroms, comme toute la population, ont subi un contrôle étroit de leur vie et de nombreuses tentatives de sédentarisation forcée. Toutefois, leur position modeste économiquement et socialement (ils formaient ce que dans la nomenclature officielle l’on appelait un « sous-prolétariat ») leur a épargné les persécutions ciblées dont furent victimes les anciens bourgeois, les anciennes classes moyennes, les intellectuels, les religieux, les syndicalistes ou les minorités « remuantes » tels les Hongrois. Pour la plupart, les Rroms de Roumanie ont été ouvriers agricoles ou agents de la voirie, du recyclage et du ramassage des déchets. Beaucoup ont aussi travaillé dans les métiers du transport. Certains ont même réussi à faire fortune dans l’économie parallèle, indispensable à la survie des populations dans un système de pénurie institutionnalisée.
Après la chute du Communisme, dans les années 1990-2000, la terre arable a souvent été un enjeu dans des conflits dont les Rroms furent les « pions ». Lorsque les paysans ont réclamé la restitution de leurs terres aux ex-communistes (anciens directeurs de kolkhozes devenus PDG d’entreprises agro-alimentaires), ces derniers ont placé des ouvriers agricoles, souvent Rrom, sur ces terres, pour ne pas les rendre (la loi protégeant les cultivateurs occupant le terroir, contre les revendications de propriétaires antérieurs). Ils ont même offert à ces Rroms de quoi construire des maisons (selon la loi de l’époque, une construction rendait la parcelle définitivement incessible). Exaspérés, les paysans ont, ici ou là, expulsé les Rroms manu militari et brûlé leurs maisons.
Les études montrent ainsi que les migrations des Rroms sont surtout dues à la pauvreté et à l’exclusion dont ils sont victimes dans leur pays d’origine, aux discriminations dont ils font l’objet et à la recherche d’une situation meilleure pour leurs enfants.

2. La situation actuelle en France

L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union Européenne a permis, à partir du 1er janvier 2007, aux ressortissants de ces deux pays (UE-2), comme de « tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union », de pouvoir bénéficier du « droit de circuler ou de séjourner librement sur le territoire des États membres ».
La directive européenne 2004/38/CE restreint cette liberté : « Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois […] s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil ».
Les « Rroms migrants » seraient environ 12 000 (10 000 à 20 000 selon les estimations) sur le territoire français dont près de la moitié en région parisienne (dont la moitié en Seine-Saint-Denis soit 4000 personnes environ).

La grande majorité d’entre eux vient de Roumanie (plus de 90%). Sur certaines agglomérations, comme Bordeaux, de petits groupes de Rroms bulgares sont également installés. Des familles Rroms en provenance des pays d’ex-Yougoslavie sont enfin présentes sur plusieurs départements (Nord, Bouches-du-Rhône, Rhône, Loire, Indre-et-Loire, Alsace,…). En Île-de-France, les différents groupes sont représentés tout comme à Marseille.

. Accès au travail

Suite à la reconduction en décembre 2011 (jusqu’au 31 décembre 2013) de « mesures transitoires » demandées par la France, au nom de la défense de l’emploi, les ressortissants roumains et bulgares ne peuvent accéder, sans principe d’opposabilité, qu’à 150 métiers.
De surcroît, même pour ces 150 métiers, l’accès reste soumis à une autorisation de travail et l’employeur doit s’engager à verser à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) une redevance forfaitaire d’un montant variable en fonction de la durée de l’embauche et/ou du montant du salaire. Pour un contrat de travail salarié de moins de douze mois, cette taxe varie de 70 à 300€. Pour un contrat de travail salarié d’une durée d’au moins douze mois, cette taxe est égale à 50%du salaire versé, dans la limite de 2,5 fois le SMIC.
Néanmoins, les délais constatés pour l’obtention d’une carte de séjour (souvent 6 à 9 mois), lorsque réponse de la préfecture il y a, décourageraient n’importe quel employeur.
De plus, même dans les villages d’insertion et les autres dispositifs d’accueil mis en place par les collectivités territoriales avec le soutien de l’État (MOUS, etc), les familles qui ont été « sélectionnées » n’ont pu bénéficier, à leur entrée dans le dispositif, d’autorisation de travail ce qui souligne le caractère paradoxal de la situation.
Les Rroms ne pouvant justifier de ressources après 3 mois de présence en France sont sujets aux expulsions par OQTF. Ces décisions d’éloignement sont distribuées de manière massive et ne sont pas personnalisées. Les Rroms sont accusés d’être une charge excessive pour le système d’aide sociale français alors même qu’ils ne bénéficient d’aucune allocation, d’aucune assurance ou couverture médicale.
A noter que l’accès à la formation professionnelle leur est également impossible.

Enfin, plusieurs arrêtés municipaux ou préfectoraux interdisant la mendicité ou la fouille des ordures ont été pris.

. Accès au logement

Une large majorité des «Rroms migrants » en Île-de-France vivent sur des terrains dans lesquels les infrastructures (accès à l’eau et eau potable, à l’électricité, ramassage des déchets ménagers, présence de toilettes etc.) font totalement (ou, dans le meilleur des cas, partiellement) défaut. Ces terrains n’en sont pas moins des lieux de vie, organisés en campements/baraquements construits à partir de matériaux et d’objets de récupération. Ils répondent le plus souvent à la définition usuelle donnée au terme de « bidonville ». Les terrains, occupés sans autorisation, sont souvent des friches industrielles ou des interstices de la ville appartenant à l’État. Certaines de ces friches industrielles présentent des pollution des sols avec des risques sanitaires. Dans d’autres lieux, les emplacements même des terrains constituent des risques pour les population qui y vivent.
Compte tenu de l’occupation illégale des terrains, les opération d’évacuation/expulsion sont particulièrement fréquentes renforçant, de fait, la fragilisation des populations en l’absence de propositions de relogement ou d’occupation plus pérenne d’un terrain. Une fois expulsées, les familles se réinstallent le plus souvent sur d’anciens terrains, rejoignent un campement déjà existant ou créent de nouveaux terrains. Cette situation d’errance permanente renforce la précarisation et la marginalisation de ces populations, d’autant que durant les opérations d’évacuation, une partie des biens est fréquemment perdue, nécessitant alors pour les familles de recommencer l’ensemble du processus leur ayant permis d’obtenir le minimum.
On assiste également à un phénomène de multiplication des petits campements du fait des expulsions et de la volonté de ces populations de se cacher.

. Accès aux soins

Si en 2007, tous les ressortissants communautaires pouvaient être affiliés à la CMU, un changement a été opéré lors de l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’UE. Depuis, le fait de disposer d’une assurance maladie constitue l’une des conditions pour que les ressortissants européens inactifs puissent résider en France. Les ressortissants en situation irrégulière ne peuvent donc bénéficier que de l’AME.
Or, son obtention s’avère difficile pour les populations Rroms notamment du fait de la difficulté de prouver leur présence en France depuis plus de trois mois en l’absence de logement ou d’hébergement « légal » et de la difficulté à se faire domicilier par les CCAS. Sans compter les évacuations fréquentes, la mauvaise maîtrise de la langue française et la nécessité de renouveler les démarches chaque année. Le droit d’entrée de 30€ instauré en 2011 n’ayant évidemment pas arrangé les choses…

Tout ceci mène donc à une dégradation des conditions de santé des populations Rroms : faible espérance de vie, fort taux de mortalité infantile, fréquence élevée de naissances de petit poids et de naissances prématurées, faible taux de couverture vaccinale chez les enfants, santé bucco-dentaire dégradée, fréquence plus élevée de maladies infectieuses (tuberculose, hépatites, rougeole, VIH), fréquence plus élevée de maladies chroniques,saturnisme… Notons également les problèmes de tabagisme, de consommation d’alcool, de mauvaise consommation alimentaire, une faible couverture contraceptive entraînant un recours élevé à de l’IVG et un taux élevé de grossesses chez les mineures.

On observe également un recours tardif aux soins dû aux difficultés d’accès, à la logique de l’urgence liée à la situation sociale des populations Rroms, à une faible éducation à la santé et aux ruptures de soins liées aux processus d’expulsion des campements.

Leur santé mentale est également fragilisée par le stress, les sentiments d’humiliation et de rejet.

. Scolarisation des enfants

Les conditions de vie des population Rroms en France rendent difficile la scolarisation des enfants. Le collectif pour le droit des enfants roms à l’éducation estimait en 2009 que « 5 à 7000 enfants roms présents en France aujourd’hui sont arrivés ou arriveront à 16 ans sans avoir jamais ou presque été à l’école » soit environ la moitié de la population des « Rroms migrants » estimés en France.
Deux raisons principales sont identifiables : l’instabilité permanente des lieux de vie et le fait que les procédures effectuées par les familles pour inscrire leurs enfants dans les écoles se heurtent fréquemment à des refus de la part des services municipaux en charge des inscriptions dans les écoles élémentaires (simple refus, extrême lenteur des procédures sans accueil provisoire de l’enfant, demandes de documents au-delà de ceux habituellement exigés, refus de domiciliation, refus de scolarisation car il s’agit d’un enfant non francophone, que l’école n’a plus de places, affectation dans des établissements très éloignés, séparation des fratries,etc.).
Ces refus s’expliquent d’une part par une crainte de « l’appel d’air » et de l’autre par une crainte d’un « ancrage territorial » des populations Rroms dans la commune.

3. La proposition de résolution

Face à ce constat, plusieurs auditions ont été réalisées afin de rédiger notre proposition de résolution.

Ont été reçus :

• 22 février : Christophe Auger, directeur administratif et financier d’Emmaüs Coup de main et directeur d’ALJ93
• 22 février : Claude Reznik, adjoint aux populations migrantes et à la coopération internationale et Richard Zamith, chef de projet mission d’insertion des familles Roms, chargé de la MOUS – ROM, mairie de Montreuil
• 08 mars : Jean-François Corty (directeur Mission France) et Sophie Morel (Coordinatrice générale – Mission banlieue), Médecins du Monde
• 08 mars : Brahim Music, association Ternikano Berno
• 21 mars : Malik Salemkour, vice-président de la LDH, Romeurope
• 21 mars : Bruno Six, directeur des missions sociales de la Fondation Abbé Pierre
• 21 mars : Arlette Magne, directrice du service immigration et intégration de la préfecture de Seine-Saint-Denis et le directeur du service contentieux

Trame du dispositif de la PPR :

1. Accès au travail
– demander la levée des mesures transitoires
– raccourcir au maximum le délai d’obtention d’une carte de séjour et l’harmoniser sur le territoire
– supprimer la taxe OFII
2. Formation professionnelle
– y donner accès en lien avec une promesse d’embauche
– pour les jeunes entre 16 et 18 ans, accorder l’accès à la formation tant que les mesures transitoires seront en place
3. Dispositifs d’insertion
– demander leur développement
– mettre en place des mesures d’accompagnement
4. Veiller à ce que toute mesure d’ordre public prise à l’égard de ces personnes ne porte pas préjudice à un accompagnement sanitaire, social et scolaire

 

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