Eva Joly à Nantes : « Être en accord avec soi-même »

Chers amis,

« Être en accord avec soi-même, je ne connais pas de meilleur bulletin de santé », disait François Mitterrand.

Ce soir je peux vous dire que je suis pleinement en accord avec moi-même. Donc je peux vous dire, que je vais bien, malgré les coups du sort.

Je ne suis pas rentrée en politique pour faire carrière. Je ne suis pas rentrée en politique pour rechercher le confort ou les honneurs.

Alors malgré quelques bleus, toutes les rumeurs et toutes les attentes depuis des mois, une fois de plus ma campagne ne s’arrête pas.

Elle ne s’arrêtera pas, parce que je ne veux pas laisser le champ libre au mensonge généralisé, à la trahison des valeurs de la République et à la corruption des consciences. Elle ne s’arrête pas, parce que la France a besoin des écologistes.

Elle ne s’arrêtera pas, parce que nous ne devons pas laisser un seul jour de répit au plus grand des bonimenteurs, à celui qui triche et s’en vante. Nous ne devons pas laisser un seul jour de répit à Nicolas Sarkozy.

Le président de la République impliqué dans le financement illicite de deux campagnes présidentielles, n’aurait pas d’explications à donner aux Françaises et aux Français. Nous ne devons pas accepter ce discours mensonger. Aujourd’hui nous avons le droit de nous demander si Nicolas Sarkozy est un candidat comme les autres ou un justiciable en sursis.

Tant qu’il n’aura pas de lui-même fourni les explications au juge Genty, ce candidat n’aura pas sa place dans cette élection. Notre détermination doit être totale pour qu’il soit battu le 6 mai. Ma détermination est intacte pour que cette élection ne soit pas celle qui endort les Français, mais celle du retour du courage et de la justice.

Pourtant, cela ne suffira pas.

Un spectre hante cette élection, c’est celui de l’écologie. Ils aimeraient tous pouvoir s’en vanter, sans jamais rien dire, ni rien proposer. Ils aimeraient tous pouvoir en faire sans rien déranger, sans rien bousculer. Le projet écologiste est le seul qui ne regarde pas dans le rétroviseur avec les lunettes des années 70. Le monde des Trente glorieuses ne reviendra pas. Ceux qui prétendent le contraire sont des marchands d’illusion.

Les marchands d’illusion ce sont aussi ceux qui veulent courir après la dernière goutte de pétrole. La fuite de gaz sur la plateforme Total est un formidable avertissement sur les conséquences de cette course sans limites. C’est pour cela que je serai dimanche à Brégançon avec José Bové pour dénoncer les forages en eaux profondes en mer Méditerranée.

La fin du pétrole à bon marché et le dérèglement climatique, l’accroissement des injustices et des inégalités, la dégradation de la biodiversité et les pollutions qui nous empoisonnent ne tiennent pas à la seule responsabilité de Nicolas Sarkozy.

C’est pourquoi, plus que d’une simple alternance, nous avons besoin d’un autre chemin, celui d’un vrai changement fondé sur trois piliers : l’écologie, l’Europe, et la République exemplaire.

C’est aujourd’hui que paraît l’agenda du changement, alors permettez-moi puisque nous sommes réunis et rassemblés de vous proposer de prendre date. Pour que le changement ne soit pas seulement un changement de président, les écologistes ont des propositions.

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L’écologie d’abord, l’écologie avant tout. Si nous ne changeons pas notre vision du monde, si nous continuons à persister dans la société du gaspillage, des inégalités et de la pauvreté de masse, nous ne pourrons rien faire contre le chômage et la folie de la finance.

Nous allons continuer en montrant qu’au-delà du nucléaire, ce qui apparaît dans la crise climatique, dans la crise de la biodiversité, dans les pollutions de l’eau, de l’air, de la terre, c’est la remise en cause d’une société à risques illimités.

Ils ont bradé le Grenelle de l’environnement aux promoteurs et aux spéculateurs. Je propose que le gouvernement qui sera élu le 6 mai soit celui du retour de l’écologie. Nous devrons mettre en place dès le mois de mai 2012 un moratoire Triple Zéro.

Quand on veut, on peut : zéro OGM, zéro gaz de schiste et zéro construction d’autoroute supplémentaire.

Quand on veut, on peut. Arrêtez les éléphants blancs, ces grands travaux coûteux et inutiles comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Partout où nous serons, nous continuerons ce combat.

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L’Europe ensuite. Mon deuxième pilier. Notre agenda  n’est pas franco-français. L’avenir de la France est dans le chemin de l’Europe. Ceux qui demandent la sortie de l’Euro ou mobilisent à plein temps contre l’Europe se trompent de siècle. Où nous réussissons ensemble, où nous échouerons ensemble.

Ce ne sont pas les frontières françaises chères aux souverainistes qui arrêteront la crise financière et économique, le nuage nucléaire, les marées noires.

Quand on veut, on peut. On peut utiliser la crise pour construire l’Europe politique. Refusons le traité Merkozy et rassemblons avant l’été l’ensemble des dirigeants européens pour rédiger ensemble un traité d’Athènes, un traité de la solidarité et non pas de l’austérité. Un traité qui mutualise les dettes et qui rompt avec les politiques imposées de l’extérieur aux peuples comme en Grèce. Une Europe qui contrôle la finance.

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La République exemplaire enfin, rien ne sera possible sans que l’ordre politique ne change. Si l’honnêteté fait défaut à ceux qui sont appelés aux plus hautes charges de la République, il ne peut y avoir de démocratie.

Je propose qu’avant la fin de cette année nous en ayons fini avec le cumul des mandats, et qu’une limitation égale dans le temps à celle du président de la République soit imposée. Que la proportionnelle devienne la règle pour tous les scrutins, et que le droit de vote pour les immigrés non communautaires soit instauré. Mais cette République doit aussi être exemplaire. Nous devons en finir avec les conflits d’intérêts et la corruption, imposer l’indépendance du parquet et en finir avec le statut pénal d’exception pour le chef de l’État.

La République exemplaire, c’est aussi une France exemplaire dans sa lutte contre la finance. Ils auront tout annoncé, tout décrété, mais toujours rien fait. Pour certains, la finance est un adversaire sans visage, pour d’autres il faut la frapper. Mais aucun candidat ne dit comment faire.

Quand on veut, on peut. Obama le fait aux États-Unis. Il oblige les établissements financiers à déclarer au fisc américain les avoirs détenus par les citoyens, sous peine de perdre leur licence pour opérer sur le marché américain. Si demain l’Europe a le même courage, nous mettrons fin définitivement à la fraude fiscale et nous contournerons le secret bancaire.

Nicolas Sarkozy a décrété un soir la fin des paradis fiscaux. Cet engagement reste totalement hypocrite. Ce que nous montrent les affaires Karachi et Bettencourt, c’est qu’en réalité il en est un bénéficiaire. Il utilise les comptes dans les paradis fiscaux pour bénéficier de flux financiers illicites qui ont financé ses campagnes.

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Chers amis, on ne naît pas écologiste mais on le devient. Je le suis devenue par un cheminement personnel.

Mon combat c’est le vôtre : celui de l’écologie et de la justice.

Les deux choses sont liées, même si personne ne le dit aux Français. Il n’est plus possible aujourd’hui de parler de justice sans écologie. Il n’est plus possible de penser agir pour l’écologie sans se poser la question de la justice des mesures que l’on propose.

L’écologie, c’est la nouvelle frontière de l’égalité, le nouveau domaine où la République doit agir pour le respect des droits des citoyens, en garantissant que la dégradation de l’environnement n’entrave pas le développement et l’épanouissement des individus.

L’écologie, c’est le nouveau nom du progès social. Après avoir établi des droits sociaux, nous devons lutter pour les droits environnementaux.

Si toute l’histoire du mouvement ouvrier a été une longue lutte pour conquérir le droit de ne pas se tuer au travail, l’écologie c’est la lutte pour ne pas périr victimes de la pollution et du saccage de l’environnement.

Je vous demande de vous battre à mes côtés pour la justice environnementale. La justice environnementale, c’est l’idée qu’il n’est pas acceptable pour quiconque de subir la dégradation de son environnement et de son cadre de vie.

Nos nouvelles conquêtes à nous seront le droit à l’eau, le droit d’avoir un petit coin de nature près de chez soi, le droit à préservation des paysages, le droit de vivre dans des quartiers tranquilles, le droit à une alimentation de qualité, et le droit à une agriculture débarassée des pesticides.

Je veux inscrire dans la constitution le droit à un environnement sain, et le devoir de l’État de préserver la nature et les ressources.

Je continue ma campagne, parce que mes yeux se sont ouverts sur trop de réalités pour que ma bouche cesse de dire la vérité.

J’ai vu le Chêne pointu à Clichy-sous-Bois, un quartier enclavé et délabré où les sourires se font rares.

J’ai vu les quartiers Nord de Marseille, moins bien traités que les autres quartiers parce qu’y vivent des humbles, des immigrés, des chômeurs, des enfants d’ouvriers.

J’ai rencontré l’association de victimes de l’amiante, ces travailleurs auxquels on a menti, qu’on a condamnés à mort au nom du profit.

Partout, j’ai vu la même dignité et la même envie que les choses changent.

À tous je veux dire : l’écologie c’est le vrai changement.  Un changement économique, politique, philosophique pour faire face à la situation de notre planète.

Il y a une crise économique qui nous ruine. Il y a une crise sociale qui nous écrase. Il y a surtout une crise écologique qui nous menace.

Mais je veux vous dire ce soir, que toutes ces crises ne pourront pas être combattues sans que nous n’affrontions une autre crise, plus profonde encore, et qui conditionne toutes les autres : la crise des valeurs.

Sans retrouver un sens des valeurs, de ce qui compte vraiment, sans remettre de la justesse dans nos esprits et de la justice dans nos cœurs, nous serons incapables de changer vraiment la société.

Au fond, les arguments des adversaires de l’écologie se résument toujours à un seul, qu’on peut résumer à une question: « combien ça coûte ? »

« Vous voulez éviter une catastrophe nucléaire ? Bonne idée. Mais combien ça coûte ? »

« Vous voulez diminuer le nombre de maladies liées à l’environnement ?  Bonne idée. Mais combien ça coûte ? »

« Vous voulez que les enfants puissent manger bio à la cantine ? Bonne idée. Mais combien ça coûte ? »

Mais enfin, combien nous coûtent leurs fausses certitudes, leur arrogance tranquille, leur soumission aux lobbies de tout poil ?

Je vais vous le dire. Le vrai coût de leur politique irresponsable ne se compte pas seulement en billet de banques. Il se compte en vies perdues, en paysages détruits, en espèces massacrées. Le vrai coût de la politique de folie menée depuis des années, c’est le sacrifice de l’avenir.

On ne peut pas diriger la France avec une calculatrice à la place du cœur. La lecture du Wall Street Journal ne peut pas servir de feuille de route morale. Et pourtant aujourd’hui, nous en sommes là.

L’argent. Voilà ce qui les obsède. Voilà ce qui les agite. Voilà ce qui les enchaîne. Le profit, voilà le seul mot qu’ils entendent.

Vous leur parlez réchauffement climatique, leur expliquez les conséquences sur l’environnement, sur les hommes et les femmes qui peuplent la planète. Et eux vous regardent sans comprendre.

Ils ne savent plus écouter le coeur qui bat dans leur poitrine. Ils ne savent plus apprécier la beauté d’un paysage. Ils ne savent plus s’inquiéter de la toux d’un enfant. Ils voulaient posséder de l’argent, et au final c’est l’argent qui les possède.

Alors quand je vois le mépris dont nous accablent les adversaires de l’écologie, je me demande : comment osent-ils nous regarder de haut, quand leurs aspirations sont si basses ?

Soyons honnêtes, les adversaires de l’écologie, il y en a à droite, et il y en a à gauche.

Ceux qui ont cédé à l’obsession de l’argent, il y en a à droite et il y en a à gauche.

Ceux qui pensent que seule compte la conquête du pouvoir et que peu importe la manière dont on l’exerce, il y en a à droite, et il y en a aussi à gauche.

A la vérité, l’écologie est la seule politique à avoir fait le bilan de la perte des valeurs morales de notre société.

Nous sommes les seuls à dire que nous n’avons pas le droit de détruire la planète, que nous n’avons pas le droit de vivre sans nous demander quelles sont les conséquences de nos modes de vie, que nous n’avons pas le doit de poursuivre dans la folie nucléaire.

Nous avons déjà écrasé nos enfants sous le poids de la dette monétaire : les gouvernements qui se sont succédés ont vidé les caisses et viennent nous dire maintenant : « votez pour nous, nous saurons gérér la crise que nous avons créée ».

Mais aujourd’hui nous obligeons nos enfants à payer la dette écologique. Et cette dette-là, la dette écologique ne peut pas faire l’objet d’un échéancier. La nature nous présentera très vite la note.

Et c’est déjà le cas : l’explosion des maladies liées à nos modes de vie, la pollution des océans, de l’air et de la terre, voilà le prix à payer.

J’ai le sentiment d’accomplir mon devoir en poursuivant le combat de toute ma vie. Je résiste et je continuerai à résister à la pression de ceux qui veulent que rien ne change parce qu’ils sont nés les mains pleines.

Mon combat est un combat pour la vérité. Mon combat est un combat pour changer la règle du jeu politique. Mon combat est un combat contre le cynisme. Mon combat est un combat contre les petits arrangements entre amis. Mon combat est un combat pour la transparence, la démocratie, le pouvoir des citoyens. Mon combat est un combat contre la tricherie et l’impunité.

On ironise beaucoup sur ma campagne. On me reproche de dire la vérité. On dit que je ne sais pas mentir. Et alors, est-ce un si grand défaut ? Un problème si important ? Un crime si terrible ? Non, non et non. Le courage, quand les temps sont durs, c’est de chercher la vérité et de la dire.

Si je tiens bon, ce n’est pas par entêtement. Ce n’est pas l’orgueil qui me pousse. C’est la conscience des responsabilités qui me porte. Je suis la candidate de l’écologie. C’est-à-dire que je suis la candidate de l’urgence, la candidate des réalités du monde, la candidate de la responsabilité. Je parle bas. C’est mon style. Je fais peu de promesses. C’est ma fierté. Je parle d’efforts à faire. C’est ma vérité. Je parle de bouleversements à réaliser c’est ma responsabilité.

Je ne vous dis pas que demain, comme par magie, vos problèmes disparaîtront si vous votez pour moi. Je ne raconte pas de bobards. Je ne fais pas de théâtre. Je suis mon chemin avec détermination. La démagogie est et restera pour moi une langue étrangère.

La langue de bois, je n’ai aucune intention d’apprendre à la parler. Et si les oreilles de certains sont sensibles, il faudra s’y faire.

Vous les connaissez, ceux qui pensent que le monde tourne bien tel qu’il est, parce qu’ils sont du bon côté du périphérique, du bon côté de la fracture sociale ou du bon côté de la planète. Allez leur dire que les temps changent et que désormais nous allons leur tenir tête ! Allez leur dire que même minoritaires dans les sondages nous continueront à alerter nos concitoyennes et nos concitoyens ! Allez leur dire que nous ne renoncerons jamais, parce que nous n’en avons pas le droit !

Et puis une fois encore une fois, je vous le demande, ne vous laissez pas voler votre campagne ! Je sais que c’est difficile. Je sais qu’on nous moque, je sais qu’on nous caricature. Mais ensemble, nous allons créer la surprise et faire mentir les pronostics. Alors relevez la tête ! C’est vous qui construisez le vrai changement, c’est vous qui indiquez le chemin de l’avenir.

Vive l’écologie, vive la République, vive la France !

Éva JOLY, discours de Nantes, mercredi 4 avril 2012

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